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Riche semaine pour le droit français du renseignement !


Le Conseil d'Etat fixe les lignes directrices des contentieux soumis à sa formation spécialisée et le Conseil constitutionnel censure la disposition historique sur le contrôle des transmissions hertziennes



Formation spécialisée du Conseil d'Etat et accès aux fichiers de souveraineté

Par quinze décisions du 19 octobre 2016, la formation spécialisée de la section du contentieux du Conseil d'Etat a donné les lignes directrices des deux types de contentieux relevant du droit du renseignement dont elle a l'exclusivité. Ils couvrent l'accès aux fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, d'une part et, d'autre part, la vérification de la mise en œuvre d'une technique de renseignement (n° 396 503, n° 396 505, n° 396 512, n° 396 518, n° 396 521, n° 396 524, n° 396 558, n° 396 561, n° 396 635, n° 396 958, n° 397 623, n° 398 354, n° 398 356, n° 400 688 et n°401 976).

Pour les fichiers, la demande d'accès est à soumettre à la CNIL, qui désigne l'un de ses membres pour procéder aux investigations nécessaires. Les données traitées répondent-elles aux finalités restrictivement définies par la loi ? Ces données peuvent-elles être communiquées au demandeur sans compromettre ces finalités ? Ne sont-elles pas inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées ? Était-il légal de les collecter ? Sauf accord du responsable du traitement, la CNIL se borne à indiquer au demandeur que les vérifications ont été menées. Cette information révèle une décision du responsable du traitement refusant l'accès aux données en cause. Cette décision peut être déférée à la formation spécialisée.

La procédure contentieuse suit la formule adaptée du "contradictoire asymétrique". La séance de jugement se tient à huis clos. Les conclusions du rapporteur public sont prononcées à la seule intention de la formation spécialisée de jugement, hors la présence des parties. Le requérant ne reçoit communication que partielle des éléments produits par l'administration en défense. Ceux-ci sont purgés des informations protégées par le secret de la défense nationale, qui divulgueraient des éléments contenus dans le traitement de données ou qui révèleraient que le requérant figure ou ne figure pas dans le traitement. En revanche, la formation spécialisée, dont les membres sont habilités au secret de la défense nationale, examine la totalité des pièces du défendeur en dehors de la procédure contradictoire.

La formation spécialisée vérifie que des données relatives au requérant figurent dans le fichier en litige. Si elles y figurent, elle vérifie leur pertinence, leur adéquation et leur proportionnalité par rapport aux finalités assignées légalement au fichier. Si une illégalité est constatée, le requérant est informé de l'existence d'une illégalité dans des termes qui ne compromettent pas le secret de la défense nationale. L'administration a l'obligation de redresser l'illégalité, par l'effacement ou la rectification des données affectées. Si le requérant ne figure pas au fichier ou, s'il y figure, si aucune illégalité ne peut être relevée à l'encontre des données le concernant, la formation spécialisée rejette ses conclusions sans autre précision.

Onze contestations lui étaient soumises portant sur des fichiers traités par les trois services spécialisés de renseignement (du premier cercle) relevant du ministre de la défense : la direction générale de la sécurité extérieure - DGSE, la direction de la protection et de la sécurité de la défense - DPSD (devenue la "direction du renseignement et de la sécurité de la défense" depuis le 7 octobre 2012) et la direction du renseignement militaire - DRM. Dix décisions de rejet ont été prises, après examen par la formation spécialisée de l'ensemble des éléments de fond produits par les services de renseignement et par la CNIL et il a été donné acte d'un désistement.

Formation spécialisée du Conseil d'Etat et contrôle de la mise en oeuvre des techniques de renseignement

Quatre requérants se plaignaient de ce qu'une technique de renseignement avait été mise en œuvre à leur égard. La surveillance de leurs communications téléphoniques, par exemple.

L'un d'eux dénonçait une surveillance de ses communications internationales. Mais dans ce champ, le législateur n'a pas reconnu au demandeur le droit de saisir lui-même directement une juridiction pour contester la mesure, si elle a été déployée. Cette voie d'action est réservée à l'intermédiation du régulateur sectoriel indépendant, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). La formation spécialisée a pris le soin de rappeler que le Conseil constitutionnel a jugé que ce choix législatif est propre à assurer une conciliation proportionnée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et la protection du secret de la défense nationale (décision n° 2015-722 DC du 26 novembre 2015).

La logique du contrôle juridictionnel est la même que pour le contentieux de l'accès aux fichiers de sécurité, avec la différence d'un recours préalable obligatoire devant la CNCTR au lieu de la CNIL. Les dispositions du code de justice administrative portant sur le contentieux de l'accès aux fichiers et celles relatives au contrôle de la mise en œuvre des techniques de renseignement n'ont pas une rédaction identique. Ainsi, la formation spécialisée, si elle constate soit qu'aucune technique de renseignement n'a été mise en œuvre, soit que la technique de renseignement mise en œuvre est légale, "indique au requérant qu'aucune illégalité n'a été commise, sans confirmer ni infirmer la mise en œuvre d'une technique". En effet, le propre d'une technique de renseignement, comme la sonorisation de lieux, la captation d'images ou de données informatiques, est de demeurer ignorée de la cible qui en fait l'objet. En conséquence, trois décisions de rejet ont été prononcées, avec le dispositif original selon lequel il est "décidé qu'il a été procédé à la vérification demandée", sans que la requête ne soit formellement rejetée.

Conseil constitutionnel et surveillance des communications hertziennes

Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure autorisant des mesures de police administrative de surveillance des transmissions par voie hertzienne sont contraires à la Constitution et a reporté au 31 décembre 2017 l'effet de leur abrogation pour ne pas entraver la poursuite des actions de renseignement en cours sur ce segment qui est loin d'être anodin au plan de l'efficacité opérationnelle et qui, il est vrai, a été tenu trop éloigné de l'emprise progressive du droit sur le renseignement (décision n° 2016-590 QPC du 21 octobre 2016).

L'exclusion de cette surveillance du périmètre du contrôle du renseignement remonte à la loi de 1991 fondatrice de la matière (loi n° 91-846 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications, due à l'initiative et au courage politique du Premier ministre Michel Rocard). Elle place à part du régime d'autorisation administrative préalable les opérations de surveillance "hertziennes" menées pour "la défense des intérêts nationaux". Ces actions de renseignement relèvent de la liberté souveraine des services. L'objectif est de permettre l'interception de messages par balayage des fréquences radioélectriques, par des mesures générales aléatoires qui, normalement, ne sont pas individualisées en direction des communications d'une cible dénommée. Depuis 1998, le régulateur sectoriel indépendant (à l'époque la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité) s'est ému de ce sanctuaire. Le fait que les communications de téléphonie mobile puissent être regardées comme passant par la voie hertzienne, au moins pour partie, n'a pas contribué à atténuer la critique.

Le contrôle de constitutionnalité exercé sur la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement n'avait pas porté sur la substance des dispositions en cause. En effet, la loi de juillet 2015 s'était limitée à les déplacer au sein du code de la sécurité intérieure où elles avaient été placées à la codification de la loi de 1991. L'on rappellera que la jurisprudence Constitutionnel considère qu'une simple retouche purement formelle produit des effets de droit (Conseil constitutionnel, M. Gilbert A., n° 2015-506 QPC), ce qui aurait pu conduire à considérer que le contrôle mené sur la loi de juillet 2015 valait pour son entier, y compris pour la disposition en litige.

Pourtant, le Conseil constitutionnel se saisit d'un dispositif historique du droit français du renseignement conçu en 1991 et le sanctionne pour l'atteinte disproportionnée qu'il porte à la protection de la vie privée, dont le secret des correspondances est l'une des composantes. En premier lieu, aucun encadrement légal ou technique ne garantit que la surveillance ne sera que générale sans être dirigée spécifiquement vers l'interception de communications ou de données individualisables, rattachables à une personne précise. En deuxième lieu, aucune mesure juridique ne garantit que cette surveillance des transmissions hertziennes ne puisse pas être menée pour des finalités plus larges que la seule défense des intérêts nationaux. En dernier lieu, cette surveillance n'est encadrée par aucun dispositif de contrôle et ne donne lieu à aucune garantie procédurale.

La déclaration d'inconstitutionnalité ne prend effet qu'à la fin de 2017 pour permettre la continuité du service public du renseignement. Toutefois, pour combler le vide normatif pendant cette période intermédiaire de quatorze mois où la disposition inconstitutionnelle censurée continue à produire ses effets, le Conseil constitutionnel a fait preuve d'initiative originale. En effet, il impose que, pendant ce laps de temps pendant lequel cette technique de renseignement reste hors du contrôle de la loi, le régulateur indépendant, la CNCTR, soit informé régulièrement du champ et de la portée des mesures de surveillance des communications hertziennes qui seront mises en œuvre. Il prescrit, également, qu'aucun détournement de procédure ne soit perpétré, prohibant le recours à l'interception par voie hertzienne pou accomplir, en réalité, des actions relevant du régime d'autorisation imposé par le cadre législatif fixé en 2015 pour le renseignement (interception de correspondances, recueil de données de connexion ou captation de données informatiques).

Se pose la question de savoir quelle sera la marge d'action du régulateur s'il considère soit qu'il n'est pas convenablement informé, soit qu'une mesure technique relevant du "hertzien" est irrégulière. La décision du Conseil constitutionnel lui donnera-t-elle une capacité juridique suffisante pour saisir la formation spécialisée du Conseil d'Etat, comme il peut le faire, sous certaines conditions procédurales, dans la matière de toutes les autres techniques de renseignement soumises, elles, au contrôle fixé par la loi depuis le 3 octobre 2015 ?

Se pose, surtout, la question du choix de la méthode juridique la plus adaptée pour encadrer la surveillance "hertzienne" susceptibles d'appréhender les communications entre terminaux mobiles, par WiFi ou par Bluetooth. La boîte à outils actuelle du droit du renseignement suggère quelques pistes. La plus souple renverrait au régime de la surveillance des communications électroniques internationales établi en novembre 2015, soumise à autorisation préalable du Premier ministre mais cantonnée au contrôle a posteriori de la CNCTR, sans accès direct au contrôle juridictionnel de la formation spécialisée du Conseil d'Etat. La plus rigide conduirait à une intégration dans le droit commun du renseignement parmi toutes les autres techniques de renseignement supportées par le double contrôle préalable du Premier ministre et du régulateur, avec un accès au contrôle juridictionnel sous le filtre d'un recours préalable obligatoire au régulateur sectoriel. La piste d'une innovation procédurale est-elle à écarter ? Comme, par exemple, celle qui passerait par une autorisation préalable administrative de principe des fréquences accessibles pour les finalités légalement définies de "la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation", au lieu du concept juridiquement plus incertain de la "défense des intérêts nationaux". Elle serait couplée à une autorisation juridictionnelle spéciale donnée au cas par cas pour l'exploitation des informations et données recueillies, à l'instar du processus suivi, depuis juillet 2016, pour les données numériques saisies lors des perquisitions administratives sous l'état d'urgence. La possibilité de réfléchir à cette dernière piste originale, même pour devoir l'écarter, est subordonnée au résultat du contrôle de sa constitutionnalité actuellement en cours à la suite de la question prioritaire de constitutionnalité renvoyée par le Conseil d'Etat le 16 septembre 2016.

Rédigé par Laurent-Xavier Simonel le Vendredi 21 Octobre 2016

        

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