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Projet de loi relatif à la sécurité publique : vers une sécurisation du licenciement pour « radicalisation » dans le secteur des transports ?


Le projet de loi relatif à la sécurité publique, qui sera examiné au Sénat dès le 24 janvier prochain, précise les conséquences des enquêtes administratives concernant des salariés occupant des emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein de certaines entreprises de transport.


1.

La loi « Savary » du 22 mars 2016, relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, a organisé une procédure spécifique visant les personnes qui occupent « un emploi en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes ou d'une entreprise de transport de marchandises dangereuses soumise à l'obligation d'adopter un plan de sûreté ». Conducteurs de train, de métro, de cars, de bus et de tramway, mais aussi aiguilleurs, membres d’équipage dans le domaine du transport maritime ou fluvial, ou encore agents des services internes de sécurité SNCF et RATP (soit en tout près de 189.000 personnes), seraient concernés par ces mesures. (1)

Cette procédure autorise, notamment, les employeurs à demander la mise en oeuvre d’une enquête administrative lorsque le comportement d’une personne occupant l’un de ces emplois « laisse apparaître des doutes sur la compatibilité avec l'exercice des missions pour lesquelles elle a été recrutée ou affectée » . (2)

2.

2. La loi de 2016 a, cependant, laissé sans réponse la question des conséquences à tirer, sur le plan du droit du travail, lorsque l’autorité administrative émet un avis d’incompatibilité entre le comportement de l’intéressé et l’exercice de ses missions : la mise en œuvre d’une procédure de licenciement est-elle dans ce cas une faculté ou une obligation ? Le licenciement est-il forcément justifié ?

Ce silence était d’autant plus problématique que, contrairement à ce qui est prévu dans le domaine de l’aviation civile (cf. notre K.Pratique du 3 janvier 2017, le législateur du 22 mars 2016 n’a pas subordonné l’exercice des fonctions en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens, à la délivrance préalable d’une autorisation administrative. L’employeur est donc ici le seul à déterminer quelles conséquences il doit tirer d’un avis d’incompatibilité entre le comportement de l’intéressé et l’exercice de ses fonctions ou missions. (3)

3.

3. L’article 4 du projet de loi relatif à la sécurité publique vise à combler le silence des textes existants . Celui-ci a vocation à s’appliquer aux « salariés des employeurs de droit privé, ainsi qu'au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé ». L’économie du texte est, en synthèse, la suivante :

(i) En cas d’avis d’incompatibilité émis par l’administration entre le comportement de l’intéressé et l’exercice de ses missions, l’employeur « peut » engager une procédure de licenciement. La prudence invite toutefois selon nous à penser que la mise en œuvre d’une telle procédure s’impose à l’employeur, à peine de sanctions civiles (au titre de son obligation de sécurité) (5) et/ou pénales (au titre de la mise en danger des passagers et de son personnel) ;


(ii) Le licenciement ne peut intervenir qu’après une tentative infructueuse de reclassement dans un emploi sans lien direct avec la sécurité des personnes et des biens, correspondant à ses qualifications. Les contours exacts de cette obligation restent à préciser (dans quel périmètre l’employeur doit-il rechercher des postes de reclassement : l’entreprise ? le groupe ? les prestataires extérieurs ? En cas de refus d’une proposition de reclassement, l’employeur est-il tenu, avant de licencier la personne, de formuler de nouvelles offres et d’attendre que celle-ci les ait toutes refusées, ou un seul refus suffit-il ?) ;

(iii) L’employeur ne peut mettre en œuvre une procédure de licenciement à l’encontre de la personne ayant fait l’objet d’un avis d’incompatibilité qu’après épuisement, le cas échéant, des voies de recours contre cet avis devant le juge administratif (ou, selon nous, après expiration des délais de recours) ;

(iv) Sous réserve des conditions qui précèdent, le licenciement de la personne ayant fait l’objet d’un avis d’incompatibilité est nécessairement réel et sérieux. Le juge devra uniquement s’assurer que la procédure de licenciement a été respectée et que l’employeur a cherché à reclasser l’intéressé, à défaut de quoi le licenciement sera respectivement irrégulier ou (selon nous) injustifié ;

(v)
Enfin, le projet ménage la possibilité pour l’employeur de suspendre le contrat de travail. Ce dernier peut,i[ « pendant la durée strictement nécessaire à la mise en œuvre des suites qu’il entend donner au résultat de l’enquête qui lui est communiqué par l’autorité administrative »,
« retirer le salarié de son emploi, avec maintien du salaire ».

La jurisprudence devra ici se prononcer sur la notion de « durée strictement nécessaire » : doit-on comprendre que le contrat peut demeurer suspendu jusqu’à ce qu’il ait été statué définitivement sur le recours qui a pu être formé devant le juge administratif contre l’avis d’incompatibilité ? Jusqu’à l’expiration du délai que l’employeur aura pu impartir à l’intéressé pour se prononcer sur telle ou telle proposition de reclassement ?.

Reste que ce texte n’en est encore qu’au stade de projet de loi. KGA effectuera un point actualisé une fois que celui-ci aura été définitivement adopté.

(1) Projet de décret relatif aux enquêtes administratives prévues par l’article L.114-2 du Code de la sécurité intérieure (cité dans l’étude d’impact du projet de loi relatif à la sécurité publique)
(2) Art. V de la Loi n° 2016-339 du 22 mars 2016, codifié à l’article L.114-2 du Code de la sécurité intérieure
(3) CE, Ass., avis n° 392480 du 15 décembre 2016
(4) L’article L.114-2 du Code de la sécurité intérieure serait complété comme suit : « Lorsque le résultat d’une enquête réalisée en application du deuxième alinéa fait définitivement apparaître, le cas échéant après épuisement des voies de recours devant le juge administratif, que le comportement du salarié concerné est incompatible avec l’exercice des missions pour lesquelles il a été recruté ou affecté, l’employeur peut engager à son encontre une procédure de licenciement dès lors qu’il n’est pas en mesure de lui proposer un emploi autre que ceux mentionnés au premier alinéa et correspondant à ses qualifications.
Cette incompatibilité constitue la cause réelle et sérieuse du licenciement qui relève des dispositions du code du travail relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel. L’employeur peut décider, à titre conservatoire et pendant la durée strictement nécessaire à la mise en œuvre des suites qu’il entend donner au résultat de l’enquête qui lui est communiqué par l’autorité administrative, de retirer le salarié de son emploi, avec maintien du salaire ».
« Les dispositions du présent article sont applicables aux salariés des employeurs de droit privé, ainsi qu'au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, recrutés ou affectés sur les emplois mentionnés au premier alinéa. »
(5) Art. L.4121-1 al. 1er du Code du travail : « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »

Rédigé par Stéphane Bloch, Fabien Crosnier le Mardi 17 Janvier 2017

        

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