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Nouveau mécanisme de rescrit pour le transfert des droits domaniaux


Le dogme du caractère strictement personnel et précaire des titres d’occupation privative du domaine public (Conseil d’Etat, 10 mai 1989, Munoz, n° 73146) est un peu plus ébranlé par un nouveau dispositif favorable à la transmission des droits domaniaux. Ceux-ci sont appréhendés de plus en plus pour ce qu’ils sont : des valeurs économiques valorisables par les opérateurs privés.


Reconnaissance de la valeur économique des droits domaniaux

Cette reconnaissance économique de la création de valeur sur le domaine public par et pour les opérateurs privés n’a jamais été complètement absente. Toutefois il faut concéder une reconnaissance par les pouvoirs publics timide et lente, autrement dit « une stratégie des petits pas » :

Par le juge :
o Consécration jurisprudentielle du droit pour le cocontractant d'obtenir la réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale du contrat domanial (CE, 31 juill. 2009, Sté Jonathan Loisirs, cité supra n° 12) ;

o Instauration d’un régime général de transmissibilité des titres domaniaux sous réserve de l’accord écrit du gestionnaire du domaine – condition indispensable à la protection de son affectation (Conseil d’Etat, 18 septembre 2015, société Prest’air, n° 387315).

Par le législateur, notamment avec la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 dite loi PINEL : reconnaissance de la possible constitution de fonds de commerce sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre (article L. 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), possibilité pour toute personne souhaitant se porter acquéreur d'un fonds de commerce ou d'un fonds agricole de demander, par anticipation, à l'autorité compétente une autorisation d'occupation temporaire du domaine public pour l'exploitation de ce fonds (article L. 2124-33 du CG3P).

Augmenter visibilité et sécurité juridiques au profit des opérateurs économiques sur le domaine public

Dans la même optique de valorisation du domaine public, une procédure préalable au transfert des titres d’occupation a été créée par l’ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015 relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l’administration, sur l’application d’une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur.

Elle figure au nombre des instruments institués par le gouvernement sur habilitation législative pour étendre la procédure du rescrit à de nouveaux domaines de l’action administrative (article 9 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives).
L’objectif de cette initiative lancée par le Conseil d’Etat (« Le rescrit, sécuriser les initiatives et les projets », étude, 2014) est de renforcer visibilité et sécurité juridiques au profit des opérateurs économiques désireux d’entreprendre et d’investir.

L’article 2 de l’ordonnance ajoute un second alinéa à l’article L. 2122-7 du CG3P :

« Le titulaire de l’autorisation d’occupation temporaire peut demander à l’autorité qui a délivré le titre de lui indiquer si, au vu des éléments qui lui sont soumis à ce stade et sous réserve d’un changement ultérieur dans les conditions de fait ou de droit qui l’obligerait à revenir sur sa décision, elle délivrera l’agrément à une personne déterminée qui lui sera substituée, pour la durée de validité du titre restant à courir, dans les droits et obligations résultant de ce titre.

Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables aux autorisations d’occupation du domaine public qui ont été délivrées après une procédure de publicité et de mise en concurrence ».



Anticiper la décision du maître du domaine sur la demande de cession

Les occupants du domaine public peuvent désormais anticiper sur la décision du maître du domaine et ne présenter qu’un repreneur dont ils auront la quasi-certitude qu’il sera agréé. Quasi, car il ne s’agit pas exactement d’un rescrit, directement opposable à l’administration mais bien d’une pré-décision, qui appelle une décision administrative ultérieure pouvant la contredire dans les cas prévus par l’ordonnance.

Selon le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, l’instauration d’un tel mécanisme répond aux attentes des opérateurs économiques qui exercent leur activité sur le domaine public et ont besoin de sécurité juridique pour leurs projets, notamment en cas de création ou de reprise de sociétés.

Comment mettre en œuvre le mécanisme ?

Le décret n° 2016-1435 du 25 octobre 2016 portant application de l’ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015 relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l’administration, sur l’application d’une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur, codifié à l’article R. 2122-21-1 du CG3P donne le mode d’emploi de cette procédure.

Il fixe les conditions formelles de son exercice : la demande doit être adressée par le titulaire de l’autorisation à l’autorité gestionnaire du domaine par pli recommandé avec demande d’avis de réception.

Cette demande doit comporter « les éléments d’identification et les caractéristiques principales de la personne susceptible d’être substituée dans les droits et obligations du titulaire du titre d’occupation », « une copie du titre d’occupation et des autres documents nécessaires à l’identification de l’immeuble », « les justifications de la capacité technique et financière » de la personne pressentie et, enfin, « les conditions auxquelles le titre […] a été délivré, notamment le paiement de la redevance domaniale ».


Le silence de l’administration vaut acceptation

Le décret fait application du principe selon lequel le silence gardé par l’administration pendant deux mois après la demande de l’occupant vaut décision implicite d’acceptation. En cas de décision expresse d’acceptation ou de rejet, elle est notifiée par l’autorité compétente au titulaire de l’autorisation et, le cas échéant, à la personne susceptible d’être substituée dans ses droits et obligations.

Inapplicabilité du dispositif aux titres constitutifs de droits réels sur le domaine des collectivités territoriales

Avancée non négligeable, l’on peut néanmoins regretter une certaine frilosité, voire complexité, dans la délimitation du champ d’application de ce dispositif de rééquilibrage économiquement vertueux de la précarité des titres domaniaux.

D’abord, il ne peut être mis en œuvre que pour les titres constitutifs de droits réels sur le domaine public de l’Etat et de ses établissements publics.
A contrario, il ne s’applique pas aux droits réels consentis par les collectivités territoriales locales.


Inapplicabilité du dispositif aux titres délivrés après publicité et mise en concurrence

Les autorisations d’occupation du domaine public délivrées après une procédure de publicité et de mise en concurrence sont également exclues du champ d’application de cette disposition. Pour rappel, la délivrance de ces autorisations n’est soumise à aucune obligation de mise en concurrence (Conseil d’Etat, 3 décembre 2010, ville de Paris et association Paris Jean Bouin, n° 338272 et 338527). La mise en œuvre d’une telle procédure peut alors résulter soit de l’initiative du maître du domaine, soit du fait que l’autorisation d’occupation du domaine public est utilisée à l’appui d’un contrat de la commande publique. Dans ce cas, l’exclusion s’explique par la nécessité d’empêcher un contournement des obligations de publicité et de mise en concurrence par le transfert du titre domanial à un autre titulaire que l’attributaire retenu à l’issue de la compétition voire à un opérateur qui pourrait même ne pas y avoir pris part.

Reste que le droit de la commande publique n’exclut pas la possibilité d’un transfert des contrats publics sans nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence notamment si le changement de titulaire est prévu dans le contrat initial (article 139-1° du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics; article 36-1° du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession).

En conclusion, dans ce cas, certes, le nouveau mécanisme de pré-décision n’est pas ouvert mais rien n’interdit de mettre en œuvre contractuellement une procédure de cession en respectant le régime de l’option claire et non équivoque.



Rédigé par Eve Derouesne, Marguerite Pradère le Vendredi 4 Novembre 2016

        

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