L’échange contre monnaie sonnante et trébuchante ne devrait pas être la seule solution envisagée lors de la passation d’un marché.

Dans ce contexte difficile, la tentation est forte de chercher à surmonter le principal frein qui entrave les relations marchandes entre secteurs public et concurrentiel. Puisque les fonds publics se rétrécissent, pourquoi ne pas contourner l’intermédiation financière et imaginer des processus d’échanges de biens ou de services, dans l’intérêt de chaque partenaire ?
L’industrie de défense pourrait financer de nouveaux systèmes d’armes en les développant sur ses fonds propres, à charge pour l’Etat de mettre à disposition ses moyens en vue d’essais et d’utilisation en conditions opérationnelles et d’assurer par labellisation la promotion à l’exportation des prototypes ainsi créés. Des services de communication électronique pourraient être rendus aux personnes publiques en contrepartie de la faculté ouverte à l’opérateur de vendre directement des prestations complémentaires ou accessoires à la clientèle publique captive constituée par des agents publics (par insertion de bandeaux publicitaires et offres de services à la personne). Plus généralement, l’économie numérique ouvre sur un vaste champ où l’échange est possible entre services marchands apportés libéralement en contrepartie de l’utilisation gratuite par le prestataire d’infrastructures publiques en vue de la production de services vendus, eux, à titre onéreux.
Cette approche nouvelle conduit à réfléchir à ces formes d’échanges pour leur fournir des bases contractuelles régulières, selon des processus innovants et incitatifs. Cette réflexion sera utilement menée par l’analyse de situations concrètes où l’échange démonétisé est possible, souhaitable même, dans l’intérêt des deux parties.
Toutefois, il faut partir du socle des solutions actuelles. Et celles-ci reposent sur l’extension imaginative aux situations nouvelles d’échanges d’une approche très classique qui étend les règles gouvernant la passation des marchés publics là même où l’on semblait vouloir s’en extraire en évitant la relation monétaire par l’exclusion du paiement d’un prix par l’acquéreur public. En effet, malgré le foisonnement des catégories de contrats de la commande public, il reste admis qu’ils s’ordonnent autour d’une distinction majeure dualiste entre marchés publics et concessions.
L’industrie de défense pourrait financer de nouveaux systèmes d’armes en les développant sur ses fonds propres, à charge pour l’Etat de mettre à disposition ses moyens en vue d’essais et d’utilisation en conditions opérationnelles et d’assurer par labellisation la promotion à l’exportation des prototypes ainsi créés. Des services de communication électronique pourraient être rendus aux personnes publiques en contrepartie de la faculté ouverte à l’opérateur de vendre directement des prestations complémentaires ou accessoires à la clientèle publique captive constituée par des agents publics (par insertion de bandeaux publicitaires et offres de services à la personne). Plus généralement, l’économie numérique ouvre sur un vaste champ où l’échange est possible entre services marchands apportés libéralement en contrepartie de l’utilisation gratuite par le prestataire d’infrastructures publiques en vue de la production de services vendus, eux, à titre onéreux.
Cette approche nouvelle conduit à réfléchir à ces formes d’échanges pour leur fournir des bases contractuelles régulières, selon des processus innovants et incitatifs. Cette réflexion sera utilement menée par l’analyse de situations concrètes où l’échange démonétisé est possible, souhaitable même, dans l’intérêt des deux parties.
Toutefois, il faut partir du socle des solutions actuelles. Et celles-ci reposent sur l’extension imaginative aux situations nouvelles d’échanges d’une approche très classique qui étend les règles gouvernant la passation des marchés publics là même où l’on semblait vouloir s’en extraire en évitant la relation monétaire par l’exclusion du paiement d’un prix par l’acquéreur public. En effet, malgré le foisonnement des catégories de contrats de la commande public, il reste admis qu’ils s’ordonnent autour d’une distinction majeure dualiste entre marchés publics et concessions.
Traditionnellement, dans un marché public, la contrepartie de la prestation réalisée par le titulaire est une somme d’argent représentative de la valeur de la prestation. Dans la concession, la contrepartie est constituée par la redevance perçue sur les usagers lors de l’exploitation du service ou de l’ouvrage. Toutefois, ce schéma a connu ces dernières années des évolutions notables, à la fois jurisprudentielles et textuelles. Ainsi, la rémunération du titulaire du marché peut prendre d’autres formes qu’un versement monétaire et relever d’un troc entre lui et le pouvoir adjudicateur.
Le droit communautaire a été le premier à adopter une conception extensive de la notion de prix en matière de marchés publics en lui substituant celle de contre-prestation, pour laisser ainsi la voie ouverte au troc, les directives marchés définissant le marché public comme un contrat « conclu à titre onéreux ».
Des contre-prestations très diverses
En droit national, dès 1980, le juge administratif, par une démarche pragmatique qui revisitait des solutions adoptées au début du xxe siècle, a entendu libéralement la notion de prix en l’élargissant à la notion de contre-prestation. Ainsi, il a retenu la qualification de prix et celle de marché public pour un contrat par lequel une commune avait confié à une entreprise des travaux de résection d’un méandre d’une rivière et lui cédait, en contrepartie, les matériaux extraits des terrains (CE, 22 février 1980, SA des sablières modernes d’Aressy, n° 11939).
Le recours au troc en matière de marchés publics ne s’est pas limité à des contreparties en nature. La jurisprudence administrative a également admis que la contrepartie pouvait être constituée, pour le prestataire, par la perception de recettes provenant de tiers. Telle est la solution retenue par deux décisions de l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat du 4 novembre 2005, société Jean-Claude Decaux (n° 247298 et 247299), par lesquelles le caractère de marché public a été admis dans la mesure où « un échange de valeur entre les parties au contrat […] » était constaté. La notion de contrepartie constituée par des recettes provenant de tiers se décline selon de multiples variantes identifiées par le juge communautaire.
Enfin, le juge communautaire a également reconnu que l’abandon d’une recette fiscale pouvait constituer la contrepartie de l’exécution de la prestation (12 juillet 2001, Ordine Degli Architetti delle Province di Milano e Lodi, aff. C-399/98).
Des modalités sans cesse renouvelées
La conception libérale de la notion de prix connaît de nouveaux développements. Depuis 2001, le code des marchés publics a transposé la notion de « contrat conclu à titre onéreux » dans sa définition des marchés publics. Par exemple, le juge administratif a admis la qualification de marché public pour un contrat portant sur l’émission et la livraison de tickets-restaurant (TA de Paris, 20 février 2009, société Accor Services France, n° 0901491/3-3). Dans les contrats de cette nature, le prestataire de services peut être rémunéré selon trois formes différentes : le versement d’un prix par le pouvoir adjudicateur correspondant à l’émission et à l’envoi des tickets-restaurant, les placements financiers des sommes versés d’avance et les commissions liées à l’émission des tickets. Ainsi, il y a effectivement transfert de valeur, la contrepartie de la prestation résultant principalement pour le prestataire des placements financiers et des commissions des tiers. Ce mécanisme de paiement justifie qu’un candidat à l’attribution d’un marché portant sur des tickets-restaurant ait pu faire, de manière régulière, une offre financière à… 0 euro, sa rémunération provenant exclusivement des commissions versées par les commerçants et de ses placements financiers.
Enfin, dans le domaine nouveau de la réutilisation des informations publiques, notamment par des opérateurs privés à des fins commerciales, des opérations de troc ont été réalisées, sans que le juge ait eu encore à se prononcer sur leur licéité. Des opérateurs privés ont obtenu de certaines directions des archives départementales le droit de numériser, pour leur propre usage, des informations publiques telles que les registres d’état-civil, en remettant en échange une copie des versions numérisées aux services publics d’archives. Ces échanges de bons procédés, au moins pour certains d’entre eux, n’ont fait l’objet d’aucune procédure de mise en concurrence.
L’admission d’une forme de troc dans la commande publique pose toutefois des difficultés. Si l’élargissement de la notion de prix s’est notamment justifiée en ce qu’elle permettait de soumettre au code des marchés publics des contrats qui répondaient à des besoins du pouvoir adjudicateur, elle a eu pour effet à la fois d’étendre la catégorie juridique constituée par les marchés publics et de rendre plus difficile la distinction entre eux et les concessions.
Les évolutions jurisprudentielles récentes ont donné un coup d’arrêt à ce risque d’extension indéfinie de la catégorie des marchés publics. En effet, le Conseil d’Etat dans les arrêts précités du 4 novembre 2005, société Jean-Claude Decaux, a réhabilité le critère de l’objet, en le faisant prévaloir sur celui de la rémunération, ce qui conduit à limiter le caractère « attractif » de la notion de marché public. La tendance à la restriction de la notion de marché public est également constatée en droit communautaire avec l’arrêt de la CJUE du 25 mars 2010, Helmut Muller (C-451 08).
En revanche, une seconde difficulté reste en suspens. L’abandon de la transition monétaire a pour objet de favoriser les processus d’acquisition par les personnes publiques, en contrepartie de l’établissement de relations par entente directe, sur l’initiative d’un opérateur privé et sans mise en concurrence. En effet, chaque opérateur, en fonction de son propre projet d’entreprise, recherche des retours, soit en nature, soit en avantages concurrentiels. Ces retours ne sont pas efficacement soumis à un processus sérieux de comparaison en vue d’un jugement de leurs mérites respectifs pour la partie publique.
L’approche extensive qui voit une opération de marché public à titre onéreux dans toute opération d’échange de valeurs entre un patrimoine public et un patrimoine privé rend difficile le développement de ce nouveau type de relations où le partenariat réside dans la perspective de la création simultanée de valeurs, de nature différente, au profit de chacun des partenaires.
Quelques questions
La réflexion devrait être menée sur quelques questions. Pour libérer ce nouveau type de relations d’échange, faut-il pouvoir démontrer que, au terme de l’opération, l’opérateur privé aura supporté des coûts pour une valeur supérieure aux gains qu’il aura retirés ? Faudrait-il démontrer que la collectivité a acquis des biens et des services pour une valeur inférieure à celle déterminée par le marché économique ? Quels sont les instruments comptables et financiers à mettre en place pour apporter la démonstration de ce déséquilibre dans l’échange ? Quelles conclusions tirer de ce que, contrairement aux prévisions, ce déséquilibre structurel n’est pas constaté a posteriori ? Par quels procédés l’établir par un transfert monétaire au profit de la personne publique à terminaison de l’opération ?
Ces questions ouvrent sur la nécessaire détermination d’un nouveau cadre spécifique, dans l’organisation de la commande publique, qui, au-delà de la réduction simplificatrice aux cadres classiques des marchés publics et des concessions, permettra de répondre aux exigences économiques actuelles en acceptant les relations d’échanges sans intermédiation monétaire.
Le droit communautaire a été le premier à adopter une conception extensive de la notion de prix en matière de marchés publics en lui substituant celle de contre-prestation, pour laisser ainsi la voie ouverte au troc, les directives marchés définissant le marché public comme un contrat « conclu à titre onéreux ».
Des contre-prestations très diverses
En droit national, dès 1980, le juge administratif, par une démarche pragmatique qui revisitait des solutions adoptées au début du xxe siècle, a entendu libéralement la notion de prix en l’élargissant à la notion de contre-prestation. Ainsi, il a retenu la qualification de prix et celle de marché public pour un contrat par lequel une commune avait confié à une entreprise des travaux de résection d’un méandre d’une rivière et lui cédait, en contrepartie, les matériaux extraits des terrains (CE, 22 février 1980, SA des sablières modernes d’Aressy, n° 11939).
Le recours au troc en matière de marchés publics ne s’est pas limité à des contreparties en nature. La jurisprudence administrative a également admis que la contrepartie pouvait être constituée, pour le prestataire, par la perception de recettes provenant de tiers. Telle est la solution retenue par deux décisions de l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat du 4 novembre 2005, société Jean-Claude Decaux (n° 247298 et 247299), par lesquelles le caractère de marché public a été admis dans la mesure où « un échange de valeur entre les parties au contrat […] » était constaté. La notion de contrepartie constituée par des recettes provenant de tiers se décline selon de multiples variantes identifiées par le juge communautaire.
Enfin, le juge communautaire a également reconnu que l’abandon d’une recette fiscale pouvait constituer la contrepartie de l’exécution de la prestation (12 juillet 2001, Ordine Degli Architetti delle Province di Milano e Lodi, aff. C-399/98).
Des modalités sans cesse renouvelées
La conception libérale de la notion de prix connaît de nouveaux développements. Depuis 2001, le code des marchés publics a transposé la notion de « contrat conclu à titre onéreux » dans sa définition des marchés publics. Par exemple, le juge administratif a admis la qualification de marché public pour un contrat portant sur l’émission et la livraison de tickets-restaurant (TA de Paris, 20 février 2009, société Accor Services France, n° 0901491/3-3). Dans les contrats de cette nature, le prestataire de services peut être rémunéré selon trois formes différentes : le versement d’un prix par le pouvoir adjudicateur correspondant à l’émission et à l’envoi des tickets-restaurant, les placements financiers des sommes versés d’avance et les commissions liées à l’émission des tickets. Ainsi, il y a effectivement transfert de valeur, la contrepartie de la prestation résultant principalement pour le prestataire des placements financiers et des commissions des tiers. Ce mécanisme de paiement justifie qu’un candidat à l’attribution d’un marché portant sur des tickets-restaurant ait pu faire, de manière régulière, une offre financière à… 0 euro, sa rémunération provenant exclusivement des commissions versées par les commerçants et de ses placements financiers.
Enfin, dans le domaine nouveau de la réutilisation des informations publiques, notamment par des opérateurs privés à des fins commerciales, des opérations de troc ont été réalisées, sans que le juge ait eu encore à se prononcer sur leur licéité. Des opérateurs privés ont obtenu de certaines directions des archives départementales le droit de numériser, pour leur propre usage, des informations publiques telles que les registres d’état-civil, en remettant en échange une copie des versions numérisées aux services publics d’archives. Ces échanges de bons procédés, au moins pour certains d’entre eux, n’ont fait l’objet d’aucune procédure de mise en concurrence.
L’admission d’une forme de troc dans la commande publique pose toutefois des difficultés. Si l’élargissement de la notion de prix s’est notamment justifiée en ce qu’elle permettait de soumettre au code des marchés publics des contrats qui répondaient à des besoins du pouvoir adjudicateur, elle a eu pour effet à la fois d’étendre la catégorie juridique constituée par les marchés publics et de rendre plus difficile la distinction entre eux et les concessions.
Les évolutions jurisprudentielles récentes ont donné un coup d’arrêt à ce risque d’extension indéfinie de la catégorie des marchés publics. En effet, le Conseil d’Etat dans les arrêts précités du 4 novembre 2005, société Jean-Claude Decaux, a réhabilité le critère de l’objet, en le faisant prévaloir sur celui de la rémunération, ce qui conduit à limiter le caractère « attractif » de la notion de marché public. La tendance à la restriction de la notion de marché public est également constatée en droit communautaire avec l’arrêt de la CJUE du 25 mars 2010, Helmut Muller (C-451 08).
En revanche, une seconde difficulté reste en suspens. L’abandon de la transition monétaire a pour objet de favoriser les processus d’acquisition par les personnes publiques, en contrepartie de l’établissement de relations par entente directe, sur l’initiative d’un opérateur privé et sans mise en concurrence. En effet, chaque opérateur, en fonction de son propre projet d’entreprise, recherche des retours, soit en nature, soit en avantages concurrentiels. Ces retours ne sont pas efficacement soumis à un processus sérieux de comparaison en vue d’un jugement de leurs mérites respectifs pour la partie publique.
L’approche extensive qui voit une opération de marché public à titre onéreux dans toute opération d’échange de valeurs entre un patrimoine public et un patrimoine privé rend difficile le développement de ce nouveau type de relations où le partenariat réside dans la perspective de la création simultanée de valeurs, de nature différente, au profit de chacun des partenaires.
Quelques questions
La réflexion devrait être menée sur quelques questions. Pour libérer ce nouveau type de relations d’échange, faut-il pouvoir démontrer que, au terme de l’opération, l’opérateur privé aura supporté des coûts pour une valeur supérieure aux gains qu’il aura retirés ? Faudrait-il démontrer que la collectivité a acquis des biens et des services pour une valeur inférieure à celle déterminée par le marché économique ? Quels sont les instruments comptables et financiers à mettre en place pour apporter la démonstration de ce déséquilibre dans l’échange ? Quelles conclusions tirer de ce que, contrairement aux prévisions, ce déséquilibre structurel n’est pas constaté a posteriori ? Par quels procédés l’établir par un transfert monétaire au profit de la personne publique à terminaison de l’opération ?
Ces questions ouvrent sur la nécessaire détermination d’un nouveau cadre spécifique, dans l’organisation de la commande publique, qui, au-delà de la réduction simplificatrice aux cadres classiques des marchés publics et des concessions, permettra de répondre aux exigences économiques actuelles en acceptant les relations d’échanges sans intermédiation monétaire.