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A propos de l'auteur
Laurent-Xavier Simonel

Avocat au Barreau de Paris depuis 1986
Associé depuis 1993
Bureau : Paris
Secrétariat : Virginie Guillemot +33 (0)1 44 95 20 26
Email : lx.simonel@kga.fr

Le droit de donner la vie au delà de la mort


L’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat juge que la loi française ne peut pas faire obstacle au droit au respect de la vie privée et familiale protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.


L’administration française ne peut pas s’opposer à une insémination artificielle à réaliser hors de France après la mort du père

L’époux de la requérante est décédé après avoir fait un dépôt de ses gamètes, en France, en vue de l'insémination artificielle future de son épouse. Cette précaution avait été prise pour pallier l’infécondité pouvant résulter d'un traitement médical. Après le décès de son conjoint, son épouse s’est installée en Espagne d'où elle a demandé le transfert du dépôt. En effet, la loi espagnole autorise l’insémination artificielle d’une veuve dans l’année suivant le décès de son mari si celui-ci y a préalablement consenti. En sens inverse, la loi française, aux articles L. 2142-2 et L. 2141-11-1 du code de la santé publique, proscrit l’insémination artificielle à compter du décès de l’un des membres du couple et l’exportation de gamètes qui conduiraient à méconnaître cette interdiction.

Le Conseil d’Etat a redressé l’erreur de droit commise par le juge du référé-liberté de Paris. Ce dernier avait estimé, en janvier 2016, que son office ne lui permettait pas de statuer sur une atteinte au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne lorsque cette atteinte résulte de l’application de la loi française. Par un arrêt d’assemblée, la plus haute juridiction administrative française a ordonné que la personne publique dépositaire du dépôt de gamètes les transfère, sous sept jours, vers l’Espagne (CE, assemblée - sur le rapport de la 10 ème chambre -, 31 mai 2016, Mme D. C. A., conclusions Aurélie Bretonneau, n° 396 848, au recueil).

La prohibition par la loi française de l’insémination artificielle postérieure à la mort du père est conforme à la Convention européenne

Statuant comme juge d’appel dans sa formation la plus solennelle, le Conseil d’Etat a affirmé la conformité du code de la santé publique à la Convention européenne. Le droit protégé par l’article 8 de cette norme internationale est une liberté fondamentale au sens du droit français mais il ne fait pas partie des droits absolus protégés par cette Convention, qui ne doivent souffrir d’aucune atteinte, à l’instar du droit à la vie ou de la prohibition de la torture. Dès lors, il peut être restreint par la loi de manière raisonnée, justifiée et proportionnée. Ainsi, le choix fait par le droit français a pu valablement être différent de celui du droit espagnol. La norme française a privilégié, entre autres, la construction équilibrée de la personnalité de l’enfant pour ne pas permettre qu’il naisse avec le poids d’une paternité défunte. Elle retient, aussi, la présomption que le consentement de l’épouse ne peut pas être pleinement éclairé dans la période de troubles profonds qui suit le décès de son conjoint. La loi espagnole procède d’une autre mesure, orientée vers le projet des parents de se projeter au delà de leur séparation par la mort.

L’absence de consensus européen sur les conditions d’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale dans la procréation post-mortem justifie que la mise en œuvre de la Convention fasse l’objet d’adaptations nationales. La Cour européenne des droits de l’homme est sensible aux différences de sensibilité entre les 74 États membres du Conseil de l'Europe. Elle les a admises, par exemple, en 2011 pour la présence de crucifix dans les écoles publiques italiennes ou en 2015 pour l’encadrement juridique de la fin de vie.

Les interdictions posées par le code de la santé publique relèvent, ainsi, de la marge d’appréciation dont chaque Etat dispose, dans sa juridiction, pour l’application de la Convention et ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit protégé par son article 8.


Mais la mise en œuvre de la loi dont les restrictions sont conformes à la Convention européenne peut cependant méconnaître les droits garantis

La décision d’assemblée ajoute une réserve à cette déclaration de principe de la conformité de la loi nationale à la norme internationale fixée par la Convention, c’est à dire à la reconnaissance de la « conventionnalité » de la loi française. En effet, les circonstances de fait peuvent être si particulières que leur appréciation concrète et détaillée par le juge révèle une atteinte excessive aux droits et libertés protégés par la Convention. Cette atteinte excessive peut être produite par la mise en œuvre de la loi dont la conventionnalité est pourtant établie. L'atteinte résulte d'une norme administrative individuelle subordonnée à la loi. La loi satisfait au test de conventionnalité mais ce n'est pas le cas pour la mesure administrative qui la met en action.

L'apport notable de cette décision est de faire évoluer le contrôle de conventionnalité, au moins en matières de libertés fondamentales. Ce contrôle relevait classiquement d'une démarche abstraite de rapprochement entre la loi nationale et la norme internationale conventionnelle supérieure pour vérifier la compatibilité entre les qualifications juridiques respectivement retenues et mesurer les conséquences juridiques de la loi nationale en fonction de la latitude plus ou moins grande ouverte à la loi nationale par la Convention. Ce type de contrôle a conclu, ici, a la compatibilité du code de la santé publique avec le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention. Le contrôle de conventionnalité doit, dorénavant, être mené au-delà, de manière concrète, en portant sur les effets pratiques de la mise en œuvre des dispositions législatives telles que l'instruction du dossier les établissent.

Le Conseil d’Etat a attentivement examiné les circonstances de fait, à l'aune de la situation individuelle et particulière de la requérante, pour estimer que le refus opposé par l'administration française à l’exportation des gamètes en Espagne en vue d’une insémination après le décès du père, possible dans ce pays, portait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, bien que ce refus soit fondé sur l’application de la loi française dont la conventionnalité est acquise. Le consentement des deux époux à leur projet commun d’une conception au-delà de la mort était clair, déterminé, explicite et éclairé. La veuve le poursuit dans la durée et de manière réfléchie. Le choix de son installation en Espagne est justifié pleinement par des circonstances de fait incontestables et ne révèle aucune intention de fraude en vue de l’application d’une loi plus favorable à ce projet.

Le juge administratif du référé-liberté et le contrôle de conventionnalité de la loi

La décision apporte à la détermination de l’office du juge du référé-liberté. Par son considérant de principe, l’assemblée du contentieux lui fixe pour règle d’assurer la protection des libertés fondamentales y compris face à la loi. Il lui revient d’en apprécier la conventionnalité par un contrôle de l’inconventionnalité manifeste. Il doit, aussi, par le même contrôle, s’assurer que la mise en œuvre de la loi, même si celle-ci est conforme à la norme internationale issue des engagements européens ou internationaux de la France, n’entraîne pas des conséquences contraires aux exigences nées de ces engagements. Le cantonnement à un contrôle de l’inconventionnalité manifeste se justifie par la brièveté de son action car il doit statuer en 48 heures.

Le bébé de Themis

Si l'on prenait le risque de tomber dans l’allégorie facile, l’on pourrait être tenté de voir le petit enfant dont la naissance ne peut être qu'espérée, si ardemment voulu et attendu par sa mère, surgir de l’un des deux plateaux de Thémis, l’autre étant équilibré par le poids doublement solennel de la Convention européenne et de la jurisprudence administrative française.

Plus trivialement, constatons que la France, grâce au Conseil constitutionnel et par l'effet du volontarisme des juridictions administratives, en particulier, s'est déjà rattrapée remarquablement du long retard de 24 ans pris pour finalement établir, dans le moment subreptice d’un intérim présidentiel en mai 1974, l’instrument de sa ratification de la Convention européenne signée depuis 1950. La décision évoquée ici consacre une dynamique plus soutenue encore, par une large application concrète de la Convention européenne en résonnance positive et concertante avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg.

Rédigé par Laurent-Xavier Simonel le Jeudi 2 Juin 2016

        

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