Un difficile chemin vers les archives de la Vienne
Les conclusions du rapporteur public ne lient pas la formation de jugement qui tranchera en les suivant ou en s’en écartant, en tout ou partie, dans sa décision disponible sous trois semaines. Mais leur analyse indépendante et publique du litige fournit un outil essentiel de compréhension de la réflexion juridictionnelle à l’étape actuelle du délibéré.
L’opérateur de services généalogiques innovants NotreFamille.com (devenu Filae) avait demandé, en juillet 2009, à réutiliser à des fins commerciales les données contenues dans les cahiers de recensement de plus de 75 ans conservés par les archives de la Vienne.
Il fondait son droit sur la directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public et sa transposition par ordonnance, en juin 2005, dans la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 (maintenant codifiée au code des relations entre le public et l’administration - CRPA). La collectivité s’y est opposée par plusieurs biais successifs et, finalement, en se prévalant du droit sui generis du producteur de bases de données. Ce droit a été consacré par la directive 96/9/CE du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données et sa transposition à l’identique dans le code de la propriété intellectuelle (art. L. 341-1 et L. 342-2. L’incorporation en droit national échappe au contrôle de constitutionnalité a posteriori car, en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité soulevée sur des dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions précises et inconditionnelles de la directive (CE, 14 septembre 2015, soc. NotreFamille.com, n° 389 806, aux tables).
Pour le département, ce droit sui generis lui permettait d’empêcher une extraction des images numérisées de ses archives qu’il a mises en ligne. Le tribunal administratif de Poitiers (n° 1002347 du 31 janvier 2013), puis la cour administrative de Bordeaux (n° 13BX00856 du 26 février 2015) lui ont donné raison. Cet arrêt a été soumis au contrôle de cassation du Conseil d’État.
L’opérateur de services généalogiques innovants NotreFamille.com (devenu Filae) avait demandé, en juillet 2009, à réutiliser à des fins commerciales les données contenues dans les cahiers de recensement de plus de 75 ans conservés par les archives de la Vienne.
Il fondait son droit sur la directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public et sa transposition par ordonnance, en juin 2005, dans la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 (maintenant codifiée au code des relations entre le public et l’administration - CRPA). La collectivité s’y est opposée par plusieurs biais successifs et, finalement, en se prévalant du droit sui generis du producteur de bases de données. Ce droit a été consacré par la directive 96/9/CE du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données et sa transposition à l’identique dans le code de la propriété intellectuelle (art. L. 341-1 et L. 342-2. L’incorporation en droit national échappe au contrôle de constitutionnalité a posteriori car, en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité soulevée sur des dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions précises et inconditionnelles de la directive (CE, 14 septembre 2015, soc. NotreFamille.com, n° 389 806, aux tables).
Pour le département, ce droit sui generis lui permettait d’empêcher une extraction des images numérisées de ses archives qu’il a mises en ligne. Le tribunal administratif de Poitiers (n° 1002347 du 31 janvier 2013), puis la cour administrative de Bordeaux (n° 13BX00856 du 26 février 2015) lui ont donné raison. Cet arrêt a été soumis au contrôle de cassation du Conseil d’État.
Une erreur de droit constatée
Pour le rapporteur public, les juges d’appel ont commis une erreur de droit caractérisée à trois égards.
En premier lieu, s’il est exact que l’existence de droits de propriété intellectuelle peut faire obstacle à la réutilisation, tant le droit de l’Union que le droit national n’admettent une telle restriction que pour les droits des tiers et non pour ceux revendiqués par la collectivité publique (considérant 22 de la directive 2003/98 et article L. 321-2-c) du CRPA codifiant l’article 10-c) de la loi de 1978).
En deuxième lieu, les services d’archives bénéficiaient, avant la loi dite « Valter » (loi n° 2015-1779 du 28 décembre 2015 relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public), de la possibilité dérogatoire de fixer les conditions de réutilisation de leurs fonds (art. 11 de la loi de 1978). Le rapporteur public a considéré que cette dérogation, soumise à ce titre à une interprétation restrictive, était bornée aux conditions de réutilisation et ne pouvait pas justifier une remise en cause substantielle de celle-ci. Tel était pourtant le cas des règles imposées par la Vienne qui imposaient une réutilisation par recopie manuelle ou photographie pièce à pièce dans la salle de lecture de ses archives et refusaient l’accès aux fichiers numérisés ou leur aspiration.
En troisième et dernier lieu, la loi pour une République numérique, dite « loi Lemaire » (n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, art. 11), a constaté l’état du droit et a confirmé l’interprétation à lui donner. Selon cet état, antérieur à la loi Lemaire, le droit du producteur de base de données de la personne publique ne peut être opposé pour faire obstacle à une demande d’exercice du droit de reproduction (CRPA, art. L. 321-3).
En conséquence, le rapporteur public conclut à la cassation, pour erreur de droit, de l’arrêt de la cour de Bordeaux et au renvoi devant cette juridiction pour statuer sur la légalité des règles restrictives de réutilisation fixées par la Vienne.
En premier lieu, s’il est exact que l’existence de droits de propriété intellectuelle peut faire obstacle à la réutilisation, tant le droit de l’Union que le droit national n’admettent une telle restriction que pour les droits des tiers et non pour ceux revendiqués par la collectivité publique (considérant 22 de la directive 2003/98 et article L. 321-2-c) du CRPA codifiant l’article 10-c) de la loi de 1978).
En deuxième lieu, les services d’archives bénéficiaient, avant la loi dite « Valter » (loi n° 2015-1779 du 28 décembre 2015 relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public), de la possibilité dérogatoire de fixer les conditions de réutilisation de leurs fonds (art. 11 de la loi de 1978). Le rapporteur public a considéré que cette dérogation, soumise à ce titre à une interprétation restrictive, était bornée aux conditions de réutilisation et ne pouvait pas justifier une remise en cause substantielle de celle-ci. Tel était pourtant le cas des règles imposées par la Vienne qui imposaient une réutilisation par recopie manuelle ou photographie pièce à pièce dans la salle de lecture de ses archives et refusaient l’accès aux fichiers numérisés ou leur aspiration.
En troisième et dernier lieu, la loi pour une République numérique, dite « loi Lemaire » (n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, art. 11), a constaté l’état du droit et a confirmé l’interprétation à lui donner. Selon cet état, antérieur à la loi Lemaire, le droit du producteur de base de données de la personne publique ne peut être opposé pour faire obstacle à une demande d’exercice du droit de reproduction (CRPA, art. L. 321-3).
En conséquence, le rapporteur public conclut à la cassation, pour erreur de droit, de l’arrêt de la cour de Bordeaux et au renvoi devant cette juridiction pour statuer sur la légalité des règles restrictives de réutilisation fixées par la Vienne.
Une question préjudicielle possible ?
Toutefois, il a tenu à poser la question de la compatibilité ou de l’affrontement entre les deux directives en cause.
Selon la directive 96/9, l’auteur de la base de données est fondé à s’opposer à l’extraction et à la réutilisation de celle-ci. En regard, la directive 2003/98 (considérant 24) précise que le droit à réutilisation n’affecte pas l’étendue des droits issus de la directive 96/9. Cependant, la gêne qui pourrait être créée par cette corrélation doit céder devant la précision apportée sur son objet par la directive 2003/98 (au même considérant 24).
En effet, l’une des finalités de la norme de droit de l’Union de 2003 est justement de déterminer les conditions de l’exercice par les personnes publiques de leurs droits de propriété intellectuelle lorsqu’elles ont à autoriser la réutilisation de leurs données, qu’elles doivent au demeurant favoriser par leur transmission dématérialisée (considérant 23). Si le droit du producteur de base de données peut être utilisé comme un bouclier, c’est tout le système de la réutilisation des données publiques qui risque d’être amoindri.
Le rapporteur public a, finalement, invité la formation de jugement, alternativement à la cassation avec renvoi devant la cour de Bordeaux, à peser cette interrogation pour envisager, si elle la trouve dirimante, d’interroger la Cour de justice par une question préjudicielle sur la validité relative de chacune des directives en présence et leur combinaison.
Les conclusions n’ont pas été explicites à cet égard mais, au fond, ce qui pose problème n’est pas la combinaison entre les deux directives. C’est l’application jurisprudentielle faite jusqu’à présent qui accorde la primauté à l’une par rapport à l’autre. Or, la combinaison au service de l’effectivité des deux normes en présence ne conduit pas à nier le droit de réutilisation. Elle conduit à le concilier au plan économique avec le droit du producteur de base de données, lorsqu’il est établi que ce dernier peut être valablement invoqué, par une rémunération raisonnable versée par le réutilisateur.
Selon la directive 96/9, l’auteur de la base de données est fondé à s’opposer à l’extraction et à la réutilisation de celle-ci. En regard, la directive 2003/98 (considérant 24) précise que le droit à réutilisation n’affecte pas l’étendue des droits issus de la directive 96/9. Cependant, la gêne qui pourrait être créée par cette corrélation doit céder devant la précision apportée sur son objet par la directive 2003/98 (au même considérant 24).
En effet, l’une des finalités de la norme de droit de l’Union de 2003 est justement de déterminer les conditions de l’exercice par les personnes publiques de leurs droits de propriété intellectuelle lorsqu’elles ont à autoriser la réutilisation de leurs données, qu’elles doivent au demeurant favoriser par leur transmission dématérialisée (considérant 23). Si le droit du producteur de base de données peut être utilisé comme un bouclier, c’est tout le système de la réutilisation des données publiques qui risque d’être amoindri.
Le rapporteur public a, finalement, invité la formation de jugement, alternativement à la cassation avec renvoi devant la cour de Bordeaux, à peser cette interrogation pour envisager, si elle la trouve dirimante, d’interroger la Cour de justice par une question préjudicielle sur la validité relative de chacune des directives en présence et leur combinaison.
Les conclusions n’ont pas été explicites à cet égard mais, au fond, ce qui pose problème n’est pas la combinaison entre les deux directives. C’est l’application jurisprudentielle faite jusqu’à présent qui accorde la primauté à l’une par rapport à l’autre. Or, la combinaison au service de l’effectivité des deux normes en présence ne conduit pas à nier le droit de réutilisation. Elle conduit à le concilier au plan économique avec le droit du producteur de base de données, lorsqu’il est établi que ce dernier peut être valablement invoqué, par une rémunération raisonnable versée par le réutilisateur.
Une revendication injustifiée de la part des départements ?
Enfin, le rapporteur public a exprimé le doute que l’on peut avoir sur la pertinence de la revendication par les services d’archives de la protection accordée au producteur d’une base de données. Cette qualification légale procède d’une initiative prise pour la constitution de la base, déclenchant un risque entrepreneurial pour l’investissement consenti.
Tout en soulignant qu’il fallait se garder d’être trop catégorique à cet égard, les conclusions ont souligné que les bases de données des pièces numérisées conservées par les archives départementales sont financées sur des fonds publics, en exécution de missions de service public administratif et pour réaliser une politique publique d’élargissement de la diffusion d’informations publiques.
Tout en soulignant qu’il fallait se garder d’être trop catégorique à cet égard, les conclusions ont souligné que les bases de données des pièces numérisées conservées par les archives départementales sont financées sur des fonds publics, en exécution de missions de service public administratif et pour réaliser une politique publique d’élargissement de la diffusion d’informations publiques.
Les effets de la décision attendue ne seront pas seulement rétrospectifs
La décision du Conseil d’État ne règlera pas directement le blocage de près de huit ans d’un projet d’entreprise original dans un secteur nouveau porteur d’emplois et de valeur économique. Elle contribuera cependant certainement beaucoup à ce règlement.
La demande initiale s’inscrivait dans l’exercice d’un droit affirmé il y a plus de douze ans par la loi et dont la mise en œuvre effective est le préalable absolument indispensable au déploiement de nouveaux services généalogiques. Par la transcription, puis l’indexation des fonds d’archives numérisés, ce projet a l’ambition de permettre à chacun de rechercher ses origines, aisément, de chez soi et à toutes heures, grâce à un simple accès à internet à un service commercial issu d’un investissement d’entreprise.
La solution qui sera décidée par la juridiction administrative suprême sera étudiée avec grand intérêt même si, aujourd’hui, l’impossibilité de se servir du droit du producteur de base de données contre les demandes de réutilisation est explicitement posée par la loi.
La demande initiale s’inscrivait dans l’exercice d’un droit affirmé il y a plus de douze ans par la loi et dont la mise en œuvre effective est le préalable absolument indispensable au déploiement de nouveaux services généalogiques. Par la transcription, puis l’indexation des fonds d’archives numérisés, ce projet a l’ambition de permettre à chacun de rechercher ses origines, aisément, de chez soi et à toutes heures, grâce à un simple accès à internet à un service commercial issu d’un investissement d’entreprise.
La solution qui sera décidée par la juridiction administrative suprême sera étudiée avec grand intérêt même si, aujourd’hui, l’impossibilité de se servir du droit du producteur de base de données contre les demandes de réutilisation est explicitement posée par la loi.